Don Calmet - Préface, de la dissertation sur les Vampires - 1751

Préface

de la "Dissertation sur les vampires"... de 1751

"Chaque siècle, chaque nation, chaque pays a ses préventions, ses maladies, ses modes, ses penchants, qui le caractérisent et qui passent et se succèdent les uns aux autres, et souvent ce qui a paru admirable en un temps, devient pitoyable et ridicule dans un autre. On a vu des siècles où tout était tourné à certaines dévotions, certain genre d'études, certains exercices. On sait que pendant plus d'un siècle le goût dominant de l'Europe était le voyage de Jérusalem. Les rois, les princes, les seigneurs, les évêques, les ecclésiastiques, les religieux tous y couraient en foule. Les pèlerinages de Rome ont été autrefois très fréquents et très fameux. Tout cela est tombé. On a vu des provinces inondées de flagellants, et il n'en est demeuré des restes que dans les confréries de pénitents, qui subsistent en plusieurs endroits.

Nous avons vu dans ces pays-ci, des sauteurs et des danseurs, qui à chaque instant sautaient et dansaient dans les rues, dans les places et jusque dans les églises. Les convulsionnaires de nos jours semblent les avoir fait revivre. La prostérité s'en étonnera comme nous nous en raillons aujourdhui. Sur la fin du siècle seizième et au commencement du dix-septième, on en parlait en Lorraine que de sorciers et de sorcières. Il n'en est plus question depuis longtemps. Lorsque la philosophie de M. Descartes parut, quelle vogue n'eut-elle pas ! On méprisa l'ancienne philosophie, on ne parla plus que d'expériences physiques, de nouveaux systèmes, de nouvelles découvertes. M. Newton vient de paraître, tous les esprits sont tournés de son côté. Le système de M. Law, les billets de banque, les fureurs de la rue de Quincampoix, quels mouvements n'ont-ils pas causés dans le royaume ? C'était une espèce de convulsion qui sétait emparée des Français.

Dans ce siècle, une nouvelle scène soffre à nos yeux depuis environ soixante ans dans la Hongrie, la Moravie, la Silésie, la Pologne ; on voit, dit-on, des hommes morts depuis plusieurs années, ou du moins depuis plusieurs mois, revenir, parler, marcher, infester les villages, maltraiter les hommes et les animaux, sucer le sang de leurs proches , les rendre malades et enfin leur causer la mort ; en sorte qu'on ne peut se délivrer de leurs dangereuses visites et de leurs infestations, qu'en les exhumant, les empalant, leur coupant la tête, leur arrachants le nom d'oupires, ou vampires, et l'on en raconte des particularités si singulières, si détaillées, et revêtues de circonstances si probables, et d'informations si juridiques, qu'on ne peut presque pas se refuser à la croyance qu'on a dans ces pays, que ces revenants paraissent réellement sortir de leurs tombeaux, et produire les effets qu'on en publie.

L'Antiquité n'a certainement rien vu ni connu de pareil. Qu'on parcoure les histoires des Hébreux, des Egyptiens, des Grecs, des Latins; on n'y rencontrera rien qui en approche.

Il est vrai que l'on remarque dans l'Histoire, mais rarement, que certaines personnes, après avoir été quelques temps dans leurs tombeaux et tenues pour mortes, sont revenues en vie. On verra même que les Anciens ont cru que la magie pouvait donner la mort et évoquer les âmes des trépassés. On cite quelques passages qui prouvent qu'en certains temps, on s'est imaginé que les sorciers suçaient le sang des hommes et des enfants, et les faisaient mourir. On vit aussi au douzième siècle en Angleterre et en Danemark, quelques revenants semblables à ceux de Hongrie. Mais en nulle histoire, on ne lit rien d'aussi commun, ni aussi marqué que ce qu'on nous raconte des vampires d ePologne, de Hongrie et de Moravie.

L'Antiquité chrétienne fournit quelques exemples de personnes excommuniées, qui sont sorties visiblement et à la vue de tout le monde de leurs tombeaux et des églises, lorsque de diacre ordonnait aux excommuniés et à ceux qui ne communiaient point aux saints mystères de se retirer. Depuis plusieurs siècles, on ne voit plus rien de semblable, quiqu'on n'ignore pas que les corps de plusieurs excommuniés, morts dans l'excommunication et dans les censures, sont inhumés dans les églises.

La créance des nouveaux grecs, qui veulent que les corps des excommuniés ne pourrissent point dans leurs tombeaux, est une opinion qui n'a nul fondement, ni dans l'Antiquité, ni dans la bonne théologie, ni même dans l'Histoire. Ce sentiment paraît n'avoir été inventé par les nouveaux grecs schismatiques, que pour s'autoriser et s'affermir dans leur séparation de l'Eglise romaine. L'Antiquité chrétienne croyait que l'incorruptibilité d'un corps était plutôt une marque probable de la saintaté de la personne, et une preuve de la protection particulière de Dieu sur un corps qui a été pendant sa vie le temple du Saint-Esprit et sur un personne qui a conservé dans la justice et l'innocence le caractère du christianisme.

Les brucolaques de la Grèce et de l'Archipel sont encore des revenants d'une autre espèce. On a peine à se persuader qu'une nation aussi spirituelle que la grecque ait pu donner dans une idée aussi extraordinaire que celle-là. Il faut que l'ignorance ou la prévention soient extrêmes parmis eux, puisqu'il ne s'y est trouvé ni ecclésiastique ni autre écrivain qui ait entrepris de les détromper sur cet article.

L'imagination de ceux qui croient que les morts mâchent dans leurs tombeaux, et font un bruit à peu près semblable à celui que font les porcs en mangeant, est si ridicule, qu'elle ne mérite pas d'être sérieusement réfutée.

J'entreprends de traiter ici la matière des revenants ou des vampires de Hongrie, de Moravie, de Silésie et de Pologne, au hasard d'être critiqué de quelque manière que je m'y prenne; ceux qui les croient véritables m'accuseront de témérité et de présomption, de les avoir révoqués en doute, ou même d'avoir nié l'éxistance et la réalité; les autres me blâùeront d'avoir employé mon temps à traiter de cette matière, qui passe pour frivole et inutile dans l'esprit de bien des gens de bon sens. De quelque manière qu'on pense, je me saurai bon grè d'avoir approfondi une question, qui m'a paru importante pour la religion; car si le retour des vampires est réel, il importe de le défendre et de le prouver; et s'il est illusoire, il est de conséquence pour l'interêt de la religion de détromper ceux qui le croient véritable, et de détruire une erreur qui peut avoir de très dangeureuses suites."



24/05/2006
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